Le printemps de Prague : une volonté de libéralisation au sein du bloc soviétique
L’arrivée au pouvoir d’Alexander Dubček fait souffler un fort vent de liberté en Tchécoslovaquie. Mais l’éphémère euphorie que connaît le pays prend précipitamment fin en août 1968, lors de l’arrivée des troupes du Pacte de Varsovie.
Le Printemps de Prague démarre le 5 janvier 1968, lorsqu’Alexander Dubček est nommé Premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque (PCT) pour remplacer Antonin Novotny. Moscou est convaincu qu’il gouvernera conformément à la ligne promue par le Kremlin. Mais lors du vingtième anniversaire du coup de Prague en février 1968, Dubček se prononce en faveur d’une réforme du socialisme, afin de démocratiser le Parti et les institutions de la République socialiste tchécoslovaque. Son projet prend forme en avril 1968, lorsqu’il annonce devant le Parti communiste tchécoslovaque la mise en place d’un « socialisme à visage humain ».
De multiples changements sont alors entrepris dans le but d’assouplir le régime. Sont réaffirmés des libertés et droits fondamentaux : les libertés de presse, de réunion, d’expression et de circulation. Les Tchécoslovaques peuvent désormais librement sortir de leur pays, sans visa ni autorisation. Ce nouveau socialisme met fin à la censure, mais aussi à l’ouverture du courrier et aux écoutes téléphoniques par la StB[1]. Des réformes du PCT sont également entamées. Celui-ci est démocratisé, et il reconnaît que puissent coexister en son sein divers « courants ». Dubček souhaite aussi une reconnaissance constitutionnelle de l’égalité entre les nations tchèques et slovaques, et une évolution vers un système plus fédéral. Les anciens dirigeants tchécoslovaques condamnés lors des procès de Prague sont réhabilités.
Le socialisme à visage humain aspire à instaurer une économie solide, en circonscrivant la planification d’Etat à des objectifs macroéconomiques. Il s’agit d’ouvrir la Tchécoslovaquie à l’économie de marché, tout en la maintenant sous le contrôle du PCT, en reconnaissant des salaires proportionnels aux qualifications des travailleurs et en laissant aux entreprises plus de marge de manœuvre pour réaliser des profits. Dubček désire donc se rapprocher d’une économie des biens de consommations pour s’éloigner de l’économie stalinienne basée sur l’industrie lourde. Dubček décide enfin de convoquer le 14ème congrès du PCT pour le 9 septembre 1968, afin de rédiger une loi fédérale et d’inscrire dans les statuts du Parti les différents volets du socialisme à visage humain. Dans l’esprit des réformistes tchécoslovaques, ces réformes ne constituent pas un bouleversement comme l’étaient les réformes de Nagy en Hongrie en 1956. [2]
Après le Printemps de Prague vient la « normalisation »
Les réformes entreprises sont largement soutenues par la population qui réclame leur adoption immédiate. Prague est en effervescence, les paroles se libèrent dans les médias où les critiques contre l’URSS sont virulentes. Mais le 23 mai 1968 à Dresde, Brejnev et les dirigeants soviétiques se réunissent et formulent de vives critiques à l’égard de ce nouveau socialisme. Ils craignent un délitement du bloc soviétique. Pour eux, parler de socialisme à visage humain est une insulte, car cela sous-entendrait que le socialisme qu’ils promeuvent n’aurait rien d’humain. Brejnev décide d’abord d’engager des négociations. La Tchécoslovaquie réaffirme son appartenance au marxisme-léninisme, et l’URSS accepte en échange la tenue du congrès du PCT le 9 septembre.
Cependant, dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie franchissent la frontière tchécoslovaque pour mettre fin au Printemps de Prague, dans le cadre de la fameuse doctrine de la « souveraineté limitée ». 500 000 soldats et de 7000 chars occupent la totalité du pays en 24 heures, tandis que des avions militaires investissent l’aéroport de Prague. Dubček appelle le peuple à ne pas réagir. Mais les Tchécoslovaques décident d’organiser une résistance passive à cette occupation. Les habitants retirent les panneaux de signalisation pour semer le trouble parmi les envahisseurs. Des centaines de personnes se massent même devant le bâtiment de la radio publique à Prague pour permettre à la radio de maintenir la population informée des événements. Plusieurs radios clandestines voient également le jour afin de donner des directives à la population. [3]
Face à ce mouvement, Moscou décide de revenir sur son dessein de destituer Dubček, qui sera finalement remplacé par Gustav Husak le 17 avril 1969. C’est le début de la « normalisation ». Les membres du PCT sont destitués, et parfois même condamnés. Husak rétablit un pouvoir autoritaire fidèle à Moscou, et abandonne la quasi-totalité des réformes entreprises par Dubček. Prague redevient alors un lieu morose, mais où les volontés de libéralisation n’ont pas totalement disparu. Trois personnes s’immolent en 1969 pour protester contre la fin de la liberté d’expression, alors que des manifestations ont lieu en mars et en août. Malgré son échec, le printemps de Prague a permis d’inspirer les tentatives de libéralisation du communisme. Lorsqu’un journaliste américain demanda à Gorbatchev ce qui séparait ses réformes de celles du Printemps de Prague, celui-ci répondit simplement « 19 ans ». [4]
[1] La « Sécurité d’Etat », la police politique tchécoslovaque.
[2] « Mai 68: l’éphémère Printemps de Prague », France Culture, 18 mai 2018.
[3] André Champagne dans « Le Printemps de Prague et l’invasion de la Tchécoslovaquie », Radio Canada, 26 avril 2018.
[4]Propos de Gorbatchev recueillis par Michael T. Kaufman, « Gorbachev Alludes to Czech Invasion », The New York Times, 12 avril 1987.